- ÉLÉATES
- ÉLÉATESL’école d’Élée reste, en Occident, une source d’inspiration pour les philosophes qui professent le primat de l’être sur le devenir. Son plus illustre représentant, Parménide, n’enseigna sans doute pas le rigoureux monisme ontologique que parfois on lui attribue. Sa polémique contre l’héraclitéisme l’a probablement entraîné à exprimer en des formules extrêmes son émerveillement devant la paradoxale correspondance entre les lois de l’esprit et celles du monde extérieur. La vérité naît de ces noces entre l’esprit, fidèle à sa vocation première à l’unité, et l’être, en qui, par-delà la multiplicité et le changement, éclatent une permanence et une identité foncières. À l’inverse, l’«opinion» reflète le flux des apparences et Parménide ironise volontiers sur ceux «pour qui être ou ne pas être, c’est la même chose et pas la même chose, pour qui, en somme, il y a, en toutes choses, l’inverse». La recherche, par-delà les phénomènes, du principe des êtres aboutit naturellement à une laïcisation des religions traditionnelles, à la contestation des théogonies selon Homère et Hésiode. Monothéistes, Xénophane et Parménide sont considérés par le peuple grec comme des athées. Peut-être ont-ils inauguré la philosophie critique de la religion.Une purification de l’idée de DieuLes philosophes éléates forment une école à Élée, ville de l’Italie, au sud de Salerne, fondée par les Phocéens après la conquête de l’Ionie par les Perses. Le premier témoignage est celui de Platon, lorsqu’il recherche (Le Sophiste , 242 D) ceux des Anciens qui ont entrepris de déterminer avec précision en quel nombre et de quelle nature sont les êtres. Certains ont dit que les êtres sont trois, d’autres deux, «quant à notre tribu éléate, qui a commencé avec Xénophane et même plus anciennement encore (c’est-à-dire, qui est d’une antiquité vénérable et quasi divine), elle expose que ce que l’on nomme tout est un ». C’est pourquoi l’éléatisme apparaît comme le premier monisme en philosophie.Les philosophes qui composent cette école sont essentiellement Parménide et Zénon. On s’attachera ici uniquement à la question de la fondation de l’école, ainsi qu’à sa signification générale dans l’histoire de la philosophie.Depuis Platon, on a coutume d’attribuer à Xénophane de Colophon la fondation de l’école éléate. Mais Xénophane (né vers 565 av. J.-C.) fut en réalité un rhapsode très estimé qui voyagea à travers le monde grec de l’Asie Mineure à l’Italie du Sud. Il récitait les poèmes d’Homère et d’Hésiode. C’est sans doute dans l’exercice de ce métier qu’il prit conscience des difficultés contenues dans la conception homérique et hésiodique des dieux. Ses critiques peuvent se rassembler sous trois chefs: pluralité, anthropomorphisme et immoralité. Homère et Hésiode, dit-il, ont décrit les dieux sous les traits de tout ce qui est honte et mérite blâme chez les hommes; ils commettent toutes les immoralités, vols, adultères, mensonges. Mettant en hexamètres ces critiques, il récitait lui-même en public ses propres poèmes; ce fut le point de départ de la critique homérique dans l’Antiquité et le premier cas de «démythologisation» dans l’histoire. Platon devait plus tard exclure Homère de l’éducation des gardiens de sa Cité idéale. En revanche, par contrecoup, Homère trouva des défenseurs par le moyen de ce qui devait devenir l’exégèse allégorique, et dont le fondateur fut précisément le contemporain de Xénophane, Théagène de Rhegium.Le monisme éléatiqueParce qu’il avait purifié et unifié la notion de dieu, on comprend qu’une tradition dont Aristote est le premier témoin (Métaphysique , I, 5, 986 b 21) ait pu faire de Xénophane le maître de Parménide, le véritable fondateur du monisme éléatique. Cette dépendance a paru tellement incroyable aux historiens modernes qu’ils ont cherché à renverser ce rapport, et Karl Reinhardt a cru pouvoir montrer que Parménide avait dû influencer Xénophane. Werner Jaeger a maintenu l’antériorité historique de Xénophane, mais en lui retirant la qualité usurpée de maître de Parménide. Il n’est pas impossible que les deux hommes se soient connus à Élée, mais on ne peut voir, à proprement parler, dans l’un le maître de l’autre. Tout au plus Xénophane a-t-il pu établir un lien entre l’Ionie et l’Italie, peut-être a-t-il servi d’intermédiaire entre Parménide et ses prédécesseurs ioniens.La signification ontologique du monisme éléate peut se formuler en deux propositions:– Les êtres doivent se trouver au-delà des choses du monde sensible, qui sont livrées au devenir et à la corruption: l’être n’est donc pas dans les choses mais au-delà.– Par ailleurs, l’être se trouve en opposition au devenir, parce que le devenir vient du non-être et aboutit au non-être.Ce sont ces axiomes que Platon examinera systématiquement dans ses dialogues, le Parménide et Le Sophiste , et Aristote dans la Métaphysique .L’école éléate n’eut pas de prolongement après Zénon. Un écrit Sur Xénophane , Mélissos et Gorgias , attribué à Aristote, est en réalité, selon son dernier éditeur (H. Diels, 1900), du Ier siècle après J.-C. Il offre une présentation de l’éléatisme principalement inspirée de la doxographie aristotélicienne. Toutefois cet écrit isolé ne constitue pas une tradition éléate dans l’Antiquité. Mais tous les philosophes qui ont voulu renouveler la philosophie de l’être se sont nécessairement réclamés de Parménide, tel, pour notre temps, Heidegger. J. Brun a pu écrire aussi que Hegel «est le philosophe qui a mis l’être des éléates en marche dans l’histoire en posant l’être du devenir dans un devenir de l’être. Avec Hegel, l’être de Parménide s’ontologise dans le cours de l’histoire, il cesse d’être un substantif pour devenir un verbe, voire le Verbe divin.»éléates ou éléatiquesphilosophes de l'école d'élée, fondée au VIe s. av. J.-C. par Xénophane de Colophon et dont les principaux représentants sont Parménide et Zénon d'élée.⇒ÉLÉATES, subst. masc. plur.PHILOS. Philosophes grecs, disciples de Zénon d'Élée qui professaient aux VIe et Ve siècles avant Jésus-Christ les principes de l'école éléatique. Certes l'existence de l'émotion réfute au moins un moment l'argument épicurien, comme ce philosophe qui en marchant prouvait le mouvement et réfutait les éléates (J. VUILLEMIN, Essai signif. mort, 1949, p. 194) :• Les atomistes antiques, eux, s'ils avaient été conséquents avec eux-mêmes, auraient dû nier le changement, aussi bien que les éléates, puisque, pour eux, les éléments seuls, sont réels.RUYER, Esquisse d'une philos. de la struct., 1930, p. 46.Rem. 1. S'emploie rarement au sing. L'« âme » naïvement veut épuiser l'infini de l'éléate (VALÉRY, Variété III, 1936, p. 67). 2. On rencontre a) Ds la docum. éléate, adj. [En parlant de la doctrine philos. en vogue aux VIe et Ve s. avant Jésus-Christ] Qui est professée par les éléates. Pourtant la philosophie éléate, s'il faut considérer Xénophane comme son initiateur, n'a pas posé de façon définitive au VIe siècle les fondements de cette science qui « ne commence que là où le mythe finit » (Philos., Relig., 1957, p. 3214). b) Ds qq. dict. du XIXe et du XXe s. éléen, enne, subst.
) Habitant d'Élée (cf. Ac. Compl. 1842, Lar. 19e, GUÉRIN 1892, Lar. 20e-Lar. encyclop., QUILLET 1965).
) Dialecte du grec ancien (cf. Lar. 20e, Lar. Lang. fr.). Pris adj. Qui appartient ou qui est relatif aux habitants d'Élée (d'apr. GUÉRIN 1892).
Prononc. :[eleat]. Étymol. et Hist. 1. 1838 « habitant d'Élée » (Ac. Compl. 1842); 2. 1854 « philosophe disciple de Zénon d'Élée » (J. SIMON, Devoir, p. 282). Empr. au gr.« habitant originaire d'Élée, ville de Lucanie (Grande Grèce, Italie du Sud) » en partic. ethnique accolé au nom du philosophe gr. Zénon, originaire d'Élée, où il fonda l'école éléatique; 2 emploi p. méton. de 1. Fréq. abs. littér. :12.
Encyclopédie Universelle. 2012.